Business de l’expérience : réalité de marché ou jargon de marketeur ?
Cela a commencé fin des années 90 avec les grands gourous des agences de publicité, Jean-Marie Dru, notre père à tous et celui du mot…« Disruptif ». Le terme sert d’abord à définir la «méthodologie créative» proposée aux clients de son agence, puis l’expression se popularise en parlant «d’innovation disruptive» pour qualifier la capacité de nouvelles entreprises à s’imposer sur un marché en en cassant les codes. Pensez Uber, Airbnb ou Netflix et tout devient clair. Depuis c’est une course effrénée de termes habilitant à la reconnaissance intellectuelle à renfort de hardis anglicismes: « glocal », « effet whaou », « aspirationnel », « buzz », « storry-telling », « co-création »…
Sur l’hôtellerie, s’est abattu il y a quelques années le terme d’Expérience. De créateur d’expériences, #moments #time #instants, si possible uniques et positives et surtout s’érigeant en contre-pouvoir du tortionnaire TripAdvisor, on est passé plus récemment dans l’ère de « l’Experiential Industry ».
Alors l’industrie de l’expérience : jargon tendance ou contour d’une industrie à forte valeur ajoutée ?
Le Boston Consulting Group tranche et chiffre dans une récente conférence de Sommet Education Group dédiée à l’expérience dans le luxe. L’analyse catégorise depuis 2009 les vins et spiritueux, l’hôtellerie et le tourisme dans le luxe d’expérience en comparaison aux produits de luxe (montres, joaillerie et bijouterie…). Vivre versus Posséder.
Le tout représente un marché de 860 Milliards d’Euros avec une prévision de croissance de 5 à 6% pour le segment à l’horizon 2023. L’émotion EST le nouvel eldorado !
Produire en masse une expérience humaine unique… Peut-on faire pire injonction paradoxale ? Méconnue l’injonction et pourtant si commune : allez, souriez, soyez naturels…
Avec l’industrialisation viennent les questions des gains de productivité et de la place de la technologie. Cette dernière modifie déjà l’expérience que nous avons d’un service et notre relation à une marque. En général c’est pour faire disparaître l’humain. Du self check-in au self-boarding, la seule relation humaine qui survit bientôt dans l’aéroport est celle qui vous indique ostensiblement de retirer vos chaussures et d’écarter vos bras. NEeeXT !
Alexandre Nickbarte, CEO hôtel Beau-Rivage Genève partageait déjà en 2016 ses réflexions sur l’influence de la technologie dans les services : pour lui, la technologie sert à préparer la relation avec le client, dessiner les processus, séquencer les étapes, conserver les données. Au cœur du réacteur l’indomptable CRM (Customer Relationship Management) mais poursuivait-il « Une expérience sans personnification est impossible ».
Ann Heidi Hansen, chargée de marque à l’office de Tourisme du Nord Norvégien a dédié sa thèse de doctorat à la définition de « Memorable Moments* ». Elle a modélisé les composantes d’une expérience unique autour du temps, de l’espace et de la relation. La relation humaine transcende toutes les autres. Son authenticité, son exclusivité, sa justesse restent plus que jamais les fondements de la qualité du moment.
Un simple et juste retour à la vraie définition du mot hospitalité ? Pas vraiment besoin ici d’ethnométhodologie, que notre cœur reste le guide et notre tête l’outil !
* « Memorable Moments-Consumer immersion in nature-based tourist experience” – Nord University – 2010 -2014